Le salon du livre de Paris vient tout juste de fermer ses portes et cette année la littérature roumaine était à l’honneur. Une littérature méconnue qui, 24 ans après la mort de Ceaucescu, n’en a pas fini avec son passé. Il y a eu beaucoup de romans traitant des heures sombres de l’Europe centrale, ceux notamment de Herta Müller, roumaine naturalisée allemande, et qui a reçu le prix Nobel de Littérature en 2009. Récits glaçants d’une période qui ne l’était pas moins.
Răzvan Rădulescu publie chez Zulma un roman où la mémoire est tout aussi vive mais la forme est pour le moins originale. Woody Allen a dit un jour que l’humour c’est le tragique plus le temps, et « La vie et les agissements d’Ilie Cazane » est une belle illustration de cette boutade. C’est un roman tragi-comique qui dépeint un régime absurde en sortant des sentiers battus du récit. Plus qu’un roman, c’est une fable.
Ilie Cazane est un homme tout ce qu’il y a de plus ordinaire, si ce n’est qu’il fait pousser des tomates géantes dans son jardin. Sans artifices, sans magie, sans malveillance, non, ses tomates sont géantes, c’est tout. Ça pourrait être anecdotique si nous n’étions pas en Roumanie dans les années quatre-vingt. Avoir des tomates hors-normes dans son potager est un motif suffisant aux yeux du colonel Chiriţă pour embarquer notre pauvre Ilie et tenter de percer les secrets de ses talents agricoles, qui cachent certainement un activisme dangereux.
Rajoutez à cela un enfant qui a une tête en forme de courge et un bureaucrate qui a des problèmes métaphysiques, saupoudrez d’une scène d’interrogatoire digne d’une pièce de Ionesco et vous obtenez une pépite.
Succombez vite au pouvoir des tomates roumaines !
Editeur : Zulma
EAN : 9782843046070
Citations :
Ilie Cazane père avait été arrêté par deux hommes en manteau de cuir, à quatre heures et demie du matin, à l’aube, pour un motif peu habituel. Quelqu’un du village avait raconté au Siège (difficile de dire, au cours d’une enquête, si c’est bénévolement ou par hasard) les fabuleuses capacités de Cazane à obtenir des tomates grosses comme des courges. Ils avaient longuement pesé le pour et le contre, avant de conclure qu’au fond un tel individu ne perdait rien à être soumis de plus près à enquête.
Donc, le colonel Chiriţă n’avait jamais lu un roman de sa vie, ni une biographie romancée, ni un traité de tactique et de stratégie militaire, ni une plaquette de poésie, ni un volume de critique littéraire, ni un écrit philosophique, ni aucune anthologie d’essais chinois, ni un roman policier, ni un livre de cuisine, ni une encyclopédie, ni un lexique, ni un manuel, ni un mode d’emploi d’aspirateur ; pour tout ce qui se présentait devant ses yeux, sous la forme de pages reliées entre deux couvertures, il n’avait qu’une méthode : il lisait la préface. Et s’il n’y avait pas de préface, il lisait les premières lignes de la première page, ouvrait le livre au hasard vers le milieu, lisait encore quelques lignes, le refermait satisfait et disait d’une voix forte : Mmoui, je vois.
Plus l’enquête se prolongeait, plus il devenait nécessaire qu’elle aboutît à un procès et à quelques années de détention pour Ilie Cazane, non par scrupules qu’auraient eus les organes de la Sécurité, en terme d’image, mais pour justifier le temps perdu par ses agents