Une semaine de vacances. Christine Angot

Une semaine de vacances Couv

Je ressors un vieux dossier, certes ; ce roman était paru à la rentrée littéraire de cet automne. Le temps a fait son œuvre, les débats à vif sont passés.

Avant de vous donner mon avis, je remets ma lecture dans son contexte : j’ai pu lire Une semaine de vacances bien avant sa parution. Je n’étais donc pas avertie du sujet.
J’ai donc commencé ma lecture… des scènes de sexe, d’accord, je ne suis pas bégueule et j’avais lu tous ses livres précédents. J’ai continué à lire jusqu’à comprendre. Et là, je ne suis plus vraiment d’accord avec le procédé. Pas sur le fond, non, vraiment le procédé. Je l’ai vécu comme une prise d’otage. J’aurais aimé être prévenue, au cas où je n’aurais pas envie de me retrouver dans une chambre où un père viole sa fille.
L’éditeur ayant savamment entretenu le mystère, il était impossible d’imaginer avoir un Inceste 2, version détaillé.
Une fois n’est pas coutume, je vous propose de lire ensemble la quatrième de couverture :
Christine Angot a écrit ce court roman comme on prend une photo, sans respirer, sans prendre le temps de souffler. En cherchant la précision, en captant l’instant et le mouvement. Ce n’est pas à nous lecteurs de vouloir en connaître l’élément déclencheur, peu importe de le savoir. On s’aperçoit vite en le lisant que le texte possède en lui-même le pouvoir d’agir avec violence. Il suscite des sentiments dont l’angoisse ne peut être évacuée.
Il provoque le saisissement par lequel on reconnaît un des pouvoirs de la littérature : donner aux mots toute leur puissance explicative et figurative, plutôt que de s’en servir pour recouvrir et voiler. C’est comme si l’écrivain levait ce voile, non pas pour nous faire peur, mais pour que l’on voie et comprenne.

Je m’arrête sur la dernière phrase ; je pense que le lecteur avait très bien compris avec L’Inceste (qui est, en passant, un chef d’œuvre). Que la force de L’Inceste  résidait justement dans ses ellipses.
Seule la dernière page est touchante, on sent toute la détresse du monde qui s’abat sur cette gamine.
On comprend la démarche d’Angot, elle filme, nous colle le nez à la vitre, mais alors qu’elle qualifie son livre de récit et non de roman. Le changement d’intitulé permet au texte de s’identifier auprès du lecteur; et si ce livre est un roman il est alors une obscénité stérile.

Il n’est pas nécessaire d’assister à une amputation pour comprendre un unijambiste.

Editeur : Flammarion
EAN : 9782081289406

Pas de citations.

3 réflexions au sujet de « Une semaine de vacances. Christine Angot »

  1. Je tombe par hasard sur votre blog. Disons-le d’emblée, j’ai lu, moi aussi, « Une semaine de vacances » et… j’ai aimé. J’achète généralement mes livres chez le libraire. Je n’ai pas d’autre source d’approvisionnement et je n’ai donc pas eu, comme vous, la possibilité de lire celui-ci « bien avant sa parution ». Mais qu’importe, car je n’imagine pas une seule seconde que l’objet de ce billet soit de m’informer de vos privilèges. Passons.
    Je vous lis : « Je ne suis plus vraiment d’accord avec le procédé. Pas sur le fond, non, vraiment le procédé ». Moi, c’est avec cette affirmation que je ne suis pas d’accord. Votre adhésion « sur le fond » m’étonne d’ailleurs un peu (mais peut-être n’est-ce pas ce que vous voulez dire). J’aurais du mal, pour ma part, à dire que j’ai éprouvé du plaisir à cette histoire. Or, peut-on aimer un livre que l’on a pas (eu) de plaisir à lire ? A cette question, ma réponse a toujours été affirmative et le texte de Christine Angot est venu –s’il était besoin– confirmer cette conviction.
    Du point de vue du « procédé », c’est-à-dire d’un point de vue strictement littéraire –mais existe-t-il, en littérature, un autre point de vue ?-, je tiens le livre de Christine Angot (à l’égard de qui, soit dit en passant, je nourrissais quelques préjugés défavorables) pour le meilleur livre de la rentrée littéraire dernière.
    Vous parlez d’obscénité. Assurément. Mais Christine Angot n’est pas obscène. Pas plus que ne le sont Primo Levi ou Robert Antelme quand la réalité qu’ils décrivent, hélas, l’est. Effroyablement.

  2. Tout d’abord merci pour votre commentaire détaillé, c’est le grand intérêt (et la raison d’être première de ce blog) que de pouvoir échanger sur nos lectures.
    J’ai précisé que j’avais eu la possibilité de lire « en avant première » le texte d’Angot effectivement non pas pour me vanter de quelconques privilèges mais pour justifier l’absence complète d’information sur ce roman. Je n’ai pas d’adhésion sur le fond (qui pourrait en avoir ?) je reproche surtout à l’éditeur, plus qu’à l’auteur, d’avoir mis le lecteur devant le fait accompli; je persiste et signe, je ne suis pas sûre que j’aurais voulu lire ce livre en connaissant le sujet. J’entends parfaitement votre argument sur les livres aux sujets dérangeants (c’est une litote pour la plupart) je ne refuse pas les récits traitants de réalités malheureusement abjectes. La littérature a un rôle primordiale dans la mémoire collective, dans la catharsis, dans la réparation de l’oubli. Mais, et c’est là que je ne suis pas d’accord avec vous, Christine Angot avait déjà fait ce travail avec « L’inceste » qui est à mon sens, je le répète, un chef-d’œuvre. Que sa volonté de revenir sur les détails de cette histoire est, pour moi, inutile. « L’inceste » m’avait sidérée dans la puissance d’évocations affreuses des souvenirs de l’auteur. Je n’ai que cette comparaison en tête et je m’en excuse par avance (car elle n’est pas littéraire du tout!) : il est bien plus angoissant d’entendre la musique des « dents de la mer » que de voir un requin…(je vous avais prévenu !).
    Enfin, quant à aimer un aimer un livre qu’on a pas eu plaisir à lire, et bien…pour moi c’est possible, je cite « Sukkwan Island » de David Vann dans mon dernier billet et je peux vous assurer que j’ai détesté cette lecture…et aimé le livre.
    Vous confirmez en tout cas ma conviction qu’un livre, un bon livre, fait réagir et que, celui-ci malgré nos désaccords, nous aura permis d’échanger.
    J’espère que cette visite sur mon blog vous permettra de me donner votre avis sur d’autres lectures.
    A bientôt

  3. Merci pour votre réponse. Votre exemple (Sukkwan Island) est fort bien choisi. Il y a d’ailleurs un point commun avec le bouquin d’Angot. Dès les premières lignes, le lecteur avance dans un récit qui le met mal à l’aise. On sent d’emblée, me semble-t-il, qu’il y a quelque chose qui cloche, quelque chose de glauque (je crois qu’on appelle ça la dimension « proleptique » d’un texte). Et pourtant, la tragédie de la page 113 nous cueille au dépourvu.
    Je crois savoir que l’intention de Christine Angot, -en ne révélant au lecteur qu’au bout d’une quarantaine de pages qu’il était en train de lire l’histoire d’un inceste- était une manière de traduire la difficulté de la victime à parler enfin. Je pense que c’est un choix littéraire fort respectable et, en l’occurrence, réussi. Quant à lui reprocher d’écrire deux fois le même livre, convenez que c’est un peu -toute proportion gardée- comme reprocher à Mozart d’avoir toujours fait la même musique. Et quand je dis « toute proportion gardée », ce n’est pas pour minimiser le talent d’Angot mais pour dire qu’il doit être somme toute plus facile de varier les styles musicaux que de se libérer, une fois pour toutes et en quelques milliers de signes, d’un traumatisme tel que celui qu’elle a vécu.
    Vous dites que vous n’auriez sans doute pas lu le livre en en connaissant le sujet. J’ai des amis qui, par moi prévenus, ont eu la même réaction. J’avoue que j’ai du mal à accepter de tels actes d’auto-censure. Ils sont le résultat d’une vision de la littérature qui n’est pas la mienne. Le livre d’Angot me parle de l’inceste, certes, mais il ne m’apprend pas grand chose sur le sujet. En revanche il me parle de (et m’en apprend sur) la littérature. Car j’adhère sans réserve à ce mot de Pierre Bergounioux : « la Vie est d’un côté, les mots de l’autre ».
    Bien cordialement.

    PS ça n’a qu’un rapport indirect mais j’adore cette anecdote autour de Mallarmé. On raconte qu’une relation lui disait un jour : « Maître, je ne parviens pas à écrire un sonnet. Et pourtant… j’ai des idées ». Et Mallarmé de répondre : « C’est qu’un sonnet, ça ne se fait pas avec des idées, mais avec des mots ». 🙂

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